L’analyse musicale et la représentation analytique de la musique acousmatique.
Outils, méthodes, technologies

Mémoire de synthèse (47Mo)

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Résumé du projet de recherche

Depuis la réalisation de notre DEA en 1998, nos recherches concernent le champ de la musique électroacoustique [1]. Nous avons tout d’abord mené une étude sur la terminologie et l’histoire pour ensuite nous concentrer sur les théories et l’analyse musicale. À partir de 2003, nous avons progres- sivement intégré les technologies numériques en tant qu’outils d’aide à l’analyse musicale mais aussi à travers une réflexion sur la place du numérique dans la musicologie. Le projet de recherche que nous présentons prolonge ce travail en l’élargissant à une nouvelle partie du corpus et de nouvelles méthodes d’analyse musicale.

Notre DEA puis le postdoctorat, réalisé au Music, Technology and Innovation Research Centre (MTIRC) de l’université de Montfort de Leicester (Royaume-Uni), nous ont permis de développer une recherche sur la terminologie et l’histoire de la musique électroacoustique. Dans notre DEA, nous avons répertorié et défini l’ensemble des termes directement liés à ce genre musical ainsi que leurs spécificités linguistiques. Avec le MTIRC, avons contribué à la création d’un répertoire termi- nologique et d’une base de données de références, l’ElectroAcoustic Resources Site [2] (EARS), outil devenu incontournable dans le domaine de la recherche musicologique.

Nous avons ensuite élargi nos recherches vers l’analyse musicale. Notre corpus étant principale- ment constitué d’œuvres sans partition ou dont une partie n’est pas notée, nous avons dû développer des techniques de transcription et de représentation. Pour ce faire, nous nous sommes appuyé sur les travaux de transcription hérités de la linguistique et utilisés en ethnomusicologie. Nous avons réa- lisé de nombreuses transcriptions d’œuvres du répertoire depuis les années 1950 et mené une étude épistémologique qui nous a permis de mettre en évidence la faiblesse du modèle de la transcrip- tion pour l’analyse des musiques électroacoustiques. En effet, si la transcription est adaptée à l’étude d’enregistrements musicaux dans un cadre tel que l’ethnomusicologie, sa pratique est largement in- suffisante appliquée à la musique électroacoustique, de par la complexité de son matériau sonore, de ses structures musicales et de certains paramètres comme l’espace sur lesquelles la recherche musico- logique reste encore largement incomplète. Nous avons donc développé cette méthode en l’intégrant dans ce que nous nommons « la représentation analytique ». Cette dernière intègre l’ensemble des outils de visualisation, de représentation et de transcription permettant au musicologue d’étudier ce corpus. Nous avons proposé l’utilisation de méthodes d’analyse et de techniques de visualisation is- sues des sciences exactes afin de compléter la transcription et permettre ainsi une automatisation ou une semi-automatisation de certaines réalisations graphiques. Afin de vérifier nos hypothèses, nous avons développé le logiciel d’aide à l’analyse musicale EAnalysis avec le MTIRC de l’université de Montfort. Ce développement informatique et nos recherches dans le cadre du groupe sur l’analyse de la musique électroacoustique au sein de la Société française d’analyse musicale nous ont permis de poursuivre notre réflexion sur la place du numérique dans la recherche musicologique. Nous avons ainsi analysé l’usage et l’impact des technologies numériques sur la recherche afin de faire émerger les problèmes méthodologiques et proposer un ensemble d’idées pour une meilleure intégration du numérique en musicologie.

La représentation analytique, intégrant la transcription et différents outils théoriques et méthodo- logiques, a été principalement utilisée afin d’analyser des œuvres du répertoire acousmatique [3]. À la fin des années 1960, l’usage de dispositifs interactifs sur scène a donné naissance ou permis le déve- loppement de différents courants musicaux fondés sur le jeu en direct comme la musique mixte, le live electronics ou la musique interactive. Au milieu des années 1990, la démocratisation de l’informatique personnelle a facilité la création de nombreuses interfaces musicales autorisant un jeu instrumental riche et virtuose proche de celui des instruments de l’orchestre. Depuis les années 1970, la création musicale en électroacoustique s’est donc progressivement tournée vers la performance. Notre projet de recherche va désormais s’élargir à l’étude et l’analyse de la performance électroacoustique.

Si l’analyse de l’interprétation musicale commence à se répandre dans le répertoire historique de la musique tonale notamment grâce aux travaux de Genette [4] et Cook [5], seules quelques études existent sur le corpus électroacoustique. Magnusson et Hurtado [6] ont ainsi mis en évidence l’amélio- ration technique des interfaces gestuelles qui semblent être à l’origine du développement important de la performance dans le répertoire électroacoustique du début du XXIe siècle. Toutefois, la majeure partie de ces études utilisent des questionnaires ou des entretiens avec les interprètes ou le public afin de dégager des catégories de pratiques ou de conduites de perception. De plus, ces recherches sont habituellement réalisées sans une analyse approfondie de l’œuvre, tentant ainsi de produire une étude de l’interprétation déconnectée de celle-ci. Si cette méthode permet d’obtenir des résultats in- téressants dans le domaine de l’ergonomie et de l’étude du geste musical, la fondation d’une réelle analyse musicale de l’interprétation mettant en relation le geste, son contexte, l’interface, l’œuvre et sa perception n’a pour le moment fait l’objet d’aucune étude.

En nous appuyant sur nos travaux dans le domaine de la représentation analytique d’œuvres acousmatiques, nos recherches sur l’usage du numérique en musicologie et notre expérience de dé- veloppement en informatique musicale, notre objectif sera de développer une méthode pour l’ana- lyse de l’interprétation d’œuvres utilisant des interfaces gestuelles. Le corpus regroupe trois types d’œuvres : les œuvres acousmatiques nécessitant une interprétation spatialisée sur un orchestre de haut-parleurs – acousmonium, dôme ou autre – , les œuvres utilisant des interfaces gestuelles pour les musiciens et les installations sonores interactives dans lesquelles le public joue alors le rôle d’in- terprète. Le champ de cette recherche couvre trois domaines. Le premier concerne le musicien et son instrument constitué d’une interface et d’un dispositif numérique, lequel comprend les logi- ciels, ressources et processus mis en jeu pendant l’interprétation. Le musicien agit sur ce dispositif à l’aide d’une interface gestuelle traduisant ses actions en données numériques. Le deuxième domaine concerne l’œuvre et sa partition. La notion de partition est ici prise au sens large en intégrant les algo- rithmes élaborés par le compositeur et manipulés par le musicien durant la performance. Instrument et partition apparaissent ainsi comme des notions poreuses remettant en question la traditionnelle séparation entre le compositeur et le musicien. Enfin, le troisième domaine concerne le lieu de la performance et le rôle du public dans celle-ci. Si dans certaines œuvres, ce dernier n’a qu’un rôle passif dans la création, en revanche, dans le domaine des installations interactives, il intervient dans la performance en se substituant au musicien.

Ce projet de recherche nécessitera de travailler à partir des données de l’œuvre – enregistrements, partitions, algorithmes – et de celles produites pendant la performance – flux provenant de l’interface, captations audiovisuelles du musicien et du public – pour élaborer une méthode d’analyse musicale utilisant la représentation. Il nécessitera aussi des développements informatiques et techniques qui seront réalisés en collaboration avec d’autres groupes de recherches et des compagnies artistiques.

Si l’enjeu principal de cette recherche se situe au niveau musicologique sur l’analyse des œuvres, un autre aspect concerne l’impact de ce travail sur les acteurs de la création musicale. Nous souhaitons que nos recherches permettent le développement d’outils d’aide à la composition et à l’interprétation. Partant, au début des années 2000, de l’analyse de l’œuvre à travers la transcription puis la représen- tation, ce dernier point nous permettra de fermer la boucle en intégrant le compositeur et l’interprète dans le dispositif d’analyse musicale.


[1] La musique électroacoustique est née au milieu des années 1950 et a hérité de deux courants, la musique concrète inventée par Pierre Schaeffer en 1948 à Paris et la musique électronique développée à Cologne par Herbert Eimert, Robert Beyer et Werner Meyer-Eppler en 1951. La musique électroacoustique mélange l’utilisation de matériaux sonores enregistrés et synthétisés.

[2] http://ears.dmu.ac.uk

[3] Le terme « musique acousmatique » est né au début des années 1970 sous l’impulsion du compositeur François Bayle afin de désigner une musique composée uniquement en studio et jouée en concert sur un ensemble de haut-parleurs sans la présence de musiciens sur scène.

[4] GENETTE, Gérard, L’Œuvre de l’art, Paris, Seuil, 2/2010.

[5] COOK, Nicholas, Beyond the Score. Music as Performance, Oxford, Oxford University Press, 2014.

[6] MAGNUSSON, Thor, HURTADO, Enrike, « The Phenomenology of Musical Instruments: A Survey », eContact!, vol. 10, no 4, 2008, http://cec.sonus.ca/econtact/10_4/magnusson_hurtado_survey.html